Le conseil juridique en ligne ravive les tensions entre professionnels du droit

Publié: 20/10/2016

Plusieurs sites proposent la mise en lien avec des avocats/conseillers ou prodiguent eux-mêmes des conseils. L’intermédiation entre clients et professionnels est considérée comme «illicite» par certains avocats traditionnels. La clientèle est rassurée par la flexibilité et la transparence des honoraires.

Que ce soit pour les entreprises ou les particuliers, la vie quotidienne devient jonchée de normes législatives ou réglementaires rarement vulgarisées, et dont le respect est vital pour la bonne marche d’une société ou d’un ménage. La demande sur les conseillers juridiques, qui peuvent être avocats ou de simples juristes spécialisés, est donc croissante. Ces derniers interviennent soit en amont d’une situation litigieuse, soit en aval et leurs prestations sont modulables en fonction de la demande des clients. Mais depuis 2010, avec l’évolution des modes de consommation et le développement du digital, le secteur du conseil juridique subit des métamorphoses. Plusieurs cabinets ont opté pour le virage d’Internet : LegisConseil, Houkouki, ou encore le portail Juristique deviennent des références pour un conseil juridique ciblé (constitution de société, achat d’un bien immobilier, divorces, successions). Les sites proposent un conseiller juridique en ligne qui, une fois un premier dossier constitué, prend en charge la consultation du client et, si besoin est, le redirige vert l’un des avocats ou des conseillers référencés qu’il aura choisi en fonction des profils et des devis proposés. La plupart des avocats référencés travaillent déjà quotidiennement dans des cabinets. Mais souvent jeunes, ils souhaitent se constituer un portefeuille de clients en parallèle, une option que leur permet leur statut. Ils fixent leurs honoraires selon les affaires (droit de la famille, du travail, immobilier pour la plupart).

Le conseil juridique n’est régi par aucun texte

Cette évolution du marché ne fait cependant pas l’unanimité dans le milieu. Pour Mohamed Hissi, bâtonnier de Casablanca, «les sites de référencement d’avocats et de conseillers tout comme les annuaires sont licites, à condition que les règles déontologiques soient strictement respectées. Ainsi, ces sites doivent s’abstenir formellement de se livrer à des opérations de démarchage et doivent faire en sorte que les relations contractuelles entre les avocats et leurs clients soient préservées dans le respect du secret professionnel. Les sites de référencement ne doivent pas non plus interférer dans la politique d’honoraires des avocats concernés et aucune commission ne doit être perçue par ces plateformes. L’Ordre doit donc rester vigilant afin d’éviter toute dérive préjudiciable tant à l’image de la profession qu’aux intérêts des justiciables».

En matière de responsabilité, le recours à un avocat est bien plus protecteur pour le client

D’autres avocats sont beaucoup moins consensuels. «Les sites sollicitant les avocats pour des inscriptions en masse sont en réalité un filtre entre le client et l’avocat, ce qui est strictement interdit par notre profession. Certains sites exigent même de percevoir une partie des honoraires des avocats au titre de cette mise en relation», dénonce cet avocat au barreau de Rabat.

En réalité, cette frilosité est plus ancienne que le développement du digital, qui a certes accentué la tension. Le fond du problème est relatif à la concurrence entre avocats et conseillers juridiques. Aucune norme ne régit le conseil juridique qui n’est ni défini, ni l’apanage exclusif des robes noires. «Il s’agit d’une prestation intellectuelle sur l’état du droit et de la jurisprudence. Si les juristes en question ne sont pas avocats, et donc ne sont pas soumis au code déontologique de la profession, le seul texte qui puisse servir de garde-fou en cas de faute professionnelle est le code de protection du consommateur», explique Mohamed Mernissi, juriste.

Il est vrai qu’en matière de responsabilité, le recours à un avocat (en ligne ou de manière classique) est bien plus protecteur pour le client. Obligation d’information, respect du secret professionnel, mandat judiciaire…, la loi 28/00 régissant la profession et son code déontologique assurent au client un recours en cas de litige avec son mandataire. La jurisprudence récente témoigne d’une aggravation de la responsabilité civile de l’avocat. Selon ce magistrat du tribunal de première instance de Casablanca, «deux tendances se dégagent actuellement : d’une part, les juges se montrent fermes dans l’appréciation des manquements de l’avocat ; d’autre part, ils admettent plus facilement l’indemnisation de la perte de chance».

Malgré tout, la clientèle demeure attirée par la flexibilité, et le conseil juridique en ligne est de plus en plus prisé par les entreprises pour une raison claire : malgré le vide juridique et l’absence de responsabilité entourant cette activité, les honoraires sont connus d’avance, contrairement à la pagaille qui prévaut sur le marché. En effet, que ce soit les portails de mise en lien ou ceux qui fournissent directement le conseil juridique, les devis sont établis avant la prestation…

Il faut remonter à 1985 pour trouver une jurisprudence de ce qui était alors la Cour suprême, pour trouver une trace de la responsabilité du conseiller juridique. Il s’agit d’un arrêt dans lequel les juges rappellent que «l’avocat, conseiller juridique et fiscal, est tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son client, laquelle comporte le devoir de s’informer de l’ensemble des conditions de l’opération pour laquelle son concours est demandé».


Source : lavieeco.com

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